Le monde de la boxe attend ce moment. C’est le sommet de la catégorie suprême : les poids lourds. New York, 5 novembre 1921, dans les salons du Claridge Hotel, l’Américain Jack Dempsey dit le « Tigre de Manassa » et le Français Georges Carpentier alias « l’homme à l’orchidée » signent le contrat du « grand match ». Comme veut la tradition, l’Amérique est le pays hôte des grands événements de boxe. Le combat est initié par le duo de promoteurs américains Tex Rickard, Jack Curley ainsi que l’Anglais Charles Cochran.
1. Affiche du combat Carpentier-Dempsey, 1921 - © DR
2. Photomontage de Carpentier et Dempsey, 1921 - Source : gallica.bnf.fr
Duel explosif à plusieurs égards : le champion du monde combat le champion d’Europe, le Vieux Continent affronte le Nouveau Monde, le héros français de la Grande Guerre défie l’Américain qui a évité l’armée. Le choc pugilistique dépasse le cadre de la boxe. Tout le monde en parle. Ce combat est différent des autres. Tout le monde porte une opinion sur l’issue du match : la presse américaine et française, les célébrités (acteurs, écrivains, chanteurs), les hommes politiques, les anciennes et nouvelles gloires de la boxe, les journalistes de la presse écrite et radio, les « mordus » de boxe, les jeunes enfants …. Ce combat réveille aussi les rancœurs envers les Yankees. Carpentier devient « un porte-drapeau de l’honneur tricolore » comme le souligne remarquablement l’historien Stéphane Hadjeras. Chaque victoire internationale du boxeur lensois constitue un paravent au sentiment de déclin national de l’après-guerre, et les ex-alliés américains semblent y être pour quelque chose dans ce sentiment. D’ailleurs, à quelques mois du combat, Carpentier reçoit les mots suivants d’un admirateur : « Je vous mets sous la protection de Jeanne d’Arc et vous vaincrez. »
1. Journal hebdomadaire L'athlète du 2 juillet 1921 - Source : gallice.bnf.fr
2. Journal hebdomadaire The Chicago Tribune du 2 juillet 1921 - Source : gallice.bnf.fr
Le match connaît un écho médiatique sans précédent. C’est véritablement le premier événement sportif d’envergure internationale. Nous entrons dans une nouvelle ère du sport spectacle.
Les chiffres sont démesurés. Jack Dempsey et Georges Carpentier perçoivent respectivement 300 000 et 200 000 dollars, 600 journalistes sont présents, 80 183 billets sont vendus et la recette atteint le montant record de 1 789 238 dollars.
A Paris, des avions de type « Goliath Farman » lâchent un million de tracts édités par Le Petit Parisien pour annoncer l’issue du combat. L’autre grand quotidien, Le Petit Journal mobilise également plusieurs avions. Les deux journaux organisent une opération inédite : faire décoller des avions du Bourget pour donner le résultat. L’annonce du verdict : fusées rouges en cas de victoire de Carpentier et blanches si Dempsey gagne. Le Matin fait éclater trois bombes et résonner trois appels de sirène si l’Américain gagne. Si c’est Carpentier, la sirène sonnera douze fois !
1. Tract du combat Carpentier-Dempsey, 1921 - Coll. Musée national du Sport
2. Vue de l'exposition "L'appel du ring" au Musée national du Sport, 2022 © Musée National du Sport
La ferveur monte aux Etats-Unis. L’Américain est le grand favori, annoncé favori à 3 contre 1, la presse est unanime sur la défaite du Frenchy. Tout porte à croire à une victoire certaine de Dempsey (1.85 cm et 86 kg) sur Carpentier (1.82 cm et 79 kg) : la supériorité en mensuration, la puissance des coups. Ce n’est pas si évident clament toutefois certains spécialistes de boxe tels que l’écrivain Ernest Hemingway ou Robert Edgreen, critique de boxe de grande renommée.
2 juillet.14h30, Jersey City (près de New York). Sous une chaleur suffocante, Carpentier et Dempsey pénètrent dans une enceinte en bois de près de 100 000 places spécialement construite pour l’occasion.
1. Vue aérienne de l'arène temporaire 1921 - © DR
2. Vue de la foule lors du combat Carpentier-Dempsey, 1921 - © DR
Premier round, Carpentier jaillit sur son adversaire qui défend très bien et riposte par quelques coups. Le Français rejoint son banc avec un visage en sang. Il semble surpris par la rapidité et l’aisance technique de l’Américain, lui qui était présenté comme un boxeur lourdaud et sans éclat. Carpentier se ressaisit. Il domine le second round. Une puissante droite fait vaciller l’Amérique. Stupéfaits, les 80.000 spectateurs se lèvent ! Carpentier semble confiant malgré une grosse douleur au poing droit. Dès la reprise, le Français semble avoir perdu de sa superbe. Où est passé le boxeur flamboyant ? Il est essoufflé, dépassé, reçoit coups sur coups.
Au quatrième round, Carpentier n’y est plus. Le combat est à sens unique, l’Américain est trop fort, sûr de sa supériorité. Une puissante droite portée à la mâchoire abat le Français qui est compté jusqu’à huit par l’arbitre. Il se relève difficilement. Dempsey contre-attaque, Carpentier est KO. Fin. Le camp français est abattu. Le rêve du premier sacre mondial chez les lourds s’arrête brutalement. En France, c’est l’abattement. Le cortège des déçus est long : le Président de la République Alexandre Millerand, le grand organisateur de combats en France Victor Breyer, le plus américain des chanteurs français Maurice Chevalier…
1. Gant de boxe de Georges Carpentier, années 1920 - Coll. Musée National du Sport
2. Vue du combat Carpentier-Dempsey - Source : gallice.bnf.fr
3. Carpentier à terre compté par l'arbitre - Source : gallice.bnf.fr
Quelques jours plus tard, un examen révèle une raison de la défaite de Carpentier : la double fracture du pouce droit ressentie dès le 2ème round. La France est déçue mais le courage du boxeur lui vaut une entrée dans le panthéon des héros nationaux malgré sa défaite. Carpentier reçoit des milliers de lettres de sympathie et de mots extrêmement émouvants. Un enfant prénommé « petit Georges » écrit : « Réservez toute mon admiration pour votre résistance et votre bravoure de bon Français. Un futur boxeur de 7 ans ».
Perdre n’est pas toujours synonyme de défaite…
1. Gare Saint-Lazare : arrivée de Carpentier après son match contre Dempsey, 1921 - Source : gallica.bnf.fr
2. Portrait de Georges Carpentier, années 1920 - Coll. Musée national du Sport