A l'occasion de l'exposition Victoires réalisée en collaboration avec le musée du Louvre, Claude Boli, responsable scientique du Musée National du Sport propose une chronique mensuelle autour des différentes victoires sportives et de leurs symboles.
Elément incontournable de la compétition, l’orfèvrerie sportive – n’est pas l’objet d’une attention singulière auprès des historiens et des sociologues. Pourtant, le sujet a l’intérêt de rapprocher la victoire sportive et le savoir-faire artistique. Médailles et trophées sont des pièces au carrefour du sport et de l’art. Ils permettent d’approcher sous différents angles les ressorts historiques du phénomène sportif, le rôle déterminant des dirigeants français dans le développement mondial des compétitions et la place des artistes français dans la réalisation de chefs-d’œuvre.
Trophée du Bol d'Or, Raoul Larche, 1894 - Coll. Musée National du Sport
Médailler début du XXe siècle et médailles olympiques de Fabien Lamirault, 2016 et 2021 / Vue de l'exposition "Victoires"
Un produit de la modernité
Dans la moitié du XIXe siècle, l’Angleterre est le foyer du sport moderne. Les principales facettes de la révolution sportive sont des inventions anglaises. Elles se révèlent à travers l’esprit des règles, l’industrie des équipements, la presse spécialisée et le vocabulaire employé. La production de trophées participe également à l’essor de ce véritable bouleversement culturel. En 1871, le football se démarque avec la création de la Football Association Challenge Cup (Coupe d’Angleterre), communément nommée The Cup. L’œuvre remise en trophée est argentée, relativement sobre et mesure moins de 50 cm. Huit ans plus tard, la Calcutta Cup réunit chaque année les sélections nationales écossaises et anglaises de rugby à XV pour un trophée fabriqué à partir de roupies d’argent fondues. Les milieux aisés verront dans la multiplication des compétitions autre chose que l’aspect sportif. Les pratiques de mondanités et de distinctions sociales sont parmi les mobiles de création du tournoi de tennis de Wimbledon (1877). Son trophée en vermeille se singularise par un ananas (évocation d’exotisme et de luxe) trônant à son sommet. Le trophée féminin en forme de plat dit Venus Rosewater Dish est introduit en 1886 : en argent sterling et partiellement doré, il est fabriqué par l’entreprise Elkington & Co de Birmingham, spécialiste de la production de coupes. Il s’inspire d’un plat d’apparat signé du Genevois Caspar Enderlein exposé au Louvre.
Remise du trophée féminin de Wimbledon XXe siècle - Coll. Musée National du Sport
Portrait de Roger Feder avec le trophée de Wimbledon, 2003 - Coll. Musée National du Sport
Le triomphe du ballon rond
Si les Anglais ont été les principaux codificateurs des règles du sport, il n’en demeure pas moins que les Français ont joué un rôle décisif dans sa diffusion planétaire et la création de compétitions. Mobilisés par le penchant universaliste, il ne s’agit plus d’inventer une discipline sportive, comme les Anglais, mais de l’inscrire au-delà du cadre national afin de le porter comme une pièce de l’unité humaine.
Les trophées de football constituent des cas exemplaires. En 1928, le Français Jules Rimet, président de la Fédération internationale de football (1921-1954) lance, l’idée d’un challenge international, la Coupe du monde de football, concrétisé en 1930 en Uruguay. Le trophée de vainqueur, réalisé par le sculpteur Abel Lafleur, qui représente la déesse de la Victoire, porte le nom de « Coupe Jules Rimet » de 1946 à 1970. En 1956, sous l’impulsion de journalistes de France-Football, est créé le Ballon d’or, récompense qui sacre le meilleur joueur européen puis mondial. À travers ce trophée – un ballon doré – resplendit l’excellence française en matière de joaillerie. En 1960, Henri Delaunay, secrétaire général de la Fédération Française de Football, fondateur et premier secrétaire général de l’instance majeure du football européen (UEFA) crée la Coupe d’Europe des Nations, dite Euro. Le trophée initial en argent massif, exécuté par l’orfèvre parisien Chobillon, prend le nom de Coupe Henri Delaunay.
L’excellence française s’exprime au travers des trophées et médailles réalisés par des orfèvres internationalement reconnus. L’art de produire les objets d’opulence connaît son apothéose sous Napoléon Ier, désireux de rivaliser avec les fastes de la monarchie. Plusieurs établissements voient dans le trophée une manière de signer la pluralité et l’intemporalité de leur savoir-faire. Événements populaires (Coupes du monde de football, Jeux Olympiques…) et sports élitistes (tennis, golf, polo…) sont investis pour glorifier les héros et héroïnes des temps modernes.
Ainsi, la maison parisienne Mellerio – plus ancien joaillier du monde encore en activité –exécute le Ballon d’or France-Football, la Coupe des Mousquetaires, décernée au vainqueur du tournoi de tennis de Roland Garros, ou encore la Cravache d’or, décernée au jockey le plus victorieux de l’année en France. En 2021, une branche, M.Trophy, y est spécialement dédiée à la réalisation de trophées sportifs. La réalisation de médailles ne laisse pas indifférent. La maison Arthus Bertrand, spécialiste des décorations civiles et militaires, accompagne les victoires d’athlètes de compétitions nationales et internationales depuis la fin du XIXe siècle. Dès les Jeux de Paris 1900, les ateliers de la Monnaie de Paris sont présents. Aux Jeux de Paris 1924, les vainqueurs se voient gratifiés d’un impressionnant vase de Sèvres. Aux Jeux d’hiver d’Albertville 1992, les médailles des athlètes sur le podium sont fabriquées par l’un des établissements iconiques du luxe français, la Maison Lalique.
Vase de Sèvres, 1924 - Coll. Musée National du Sport
Médaille des Jeux d’hiver d’Albertville, 1992 - Coll. Musée National du Sport